Apprentissage axé sur les compétences

Le terme formation basée sur les compétences est devenu incontournable dans le contexte éducatif de ces dernières années. Mais que recouvre exactement cette appellation ? Le principal problème de toute situation d’apprentissage est que la compétence n’est pas visible. Cela s’applique également à notre service d’anesthésie de l’hôpital cantonal d’Aarau (KSA), qui accueille chaque année cinq étudiant-e-s dans le cadre de la formation EPD ES en soins d’anesthésie.

Le simple fait de compter le nombre de fois qu’une activité a été réalisée ou d’indiquer la durée de la formation (nombre de semestres) ne rend pas la compétence réelle d’un-e étudiant-e plus tangible. Nous sommes tous et toutes trop différent-e-s pour cela.
Ce problème n’est pas propre à la formation en soins, mais concerne tout contexte d’apprentissage, dans toutes les professions.

Pour ne pas mettre en danger la sécurité des patient-e-s, les professions médicales font preuve — à juste titre — d’une grande prudence lorsqu’il s’agit de déléguer des activités autonomes. Cela conduit cependant à des parcours d’apprentissage moins efficients et moins linéaires qu’ils ne pourraient l’être. Ainsi, il n’est pas rare que le niveau de compétence réel des expert-e-s diplômé-e-s en soins d’anesthésie EPD ES se situe en dessous du niveau attendu — un phénomène connu sous le nom de lacune de compétence (1).

Comment rendre les compétences acquises visibles et réduire l’écart avec les compétences attendues? En observant d’autres domaines, on trouve déjà des systèmes rendant la compétence plus transparente – par exemple, dans les arts martiaux. Les judokas indiquent clairement leur niveau de compétence par la couleur de leur ceinture. Ces ceintures ne sont pas attribuées en fonction du nombre d’années ou de séances d’entraînement, mais uniquement après l’exécution correcte des combinaisons de prises exigées. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’on se qualifie pour le port de la ceinture supérieure.

L’idée de porter des ceintures colorées au travail à l’hôpital pourrait prêter à sourire, mais elle ne s’est pas révélée applicable pour deux raisons: d’une part, cela aurait un aspect quelque peu incongru; d’autre part, la diversité des compétences de nos collaborateur-trice-s est bien plus large que dans le judo. Une seule ceinture par personne ne suffirait pas à représenter cette complexité.

La solution consiste à appliquer ce système de codage par couleur à chaque activité professionnelle spécifique. Ces activités concrètes du quotidien infirmier sont appelées Entrustable Professional Activities (EPAs), c’est-à-dire activités professionnelles que l’on peut confier (2,3).

Pour chacune de ces EPAs, des évaluations en situation réelle de travail sont régulièrement recueillies. La compétence n’est pas mesurée selon un barème vrai/faux ou une échelle de 1 à 10, mais selon le degré d’autonomie dans l’exécution. On utilise pour cela une échelle à cinq niveaux: observation, supervision directe, supervision indirecte, supervision à distance, supervision d’autres personnes.

Le cœur du système – la documentation numérique

Il serait extrêmement peu pratique d’effectuer ces nombreuses évaluations courtes sur support papier. C’est pourquoi, au KSA, nous utilisons l’application «preparedEPA». Ce système a été développé par des praticien-ne-s expérimenté-e-s de la formation professionnelle et commercialisé en 2020 (4). Le soutien à l’apprenant-e se trouve au centre de cette application. Cela se voit dans le concept de protection des données. Toutes les données d’évaluation appartiennent aux étudiant-e-s.

Pour la formation en soins d’anesthésie, une liste spécifique d’activités a été intégrée dans l’application, inspirée du plan-cadre national, et élaborée conjointement par l’équipe prepared et la Z-INA (Zentrum für Intensiv-, Notfall- und Anästhesiepflege). Nous avons pu reprendre cette liste telle quelle et l’adapter aisément à nos besoins locaux. Elle s’est avérée très fonctionnelle au quotidien et couvre l’ensemble du champ d’activité de l’anesthésie. Pour la saisie des processus de travail 1.7 et 2–4, nous utilisons en complément l’application prepared360, qui permet un feedback à 360°.

Déroulement d’une évaluation

Au KSA, une évaluation est effectuée le plus rapidement possible après la réalisation d’une activité pratique. Elle peut débuter, si souhaité, par une description de la situation rédigée par l’étudiant-e. Vient ensuite l’évaluation proprement dite. Grâce à la solution numérique, celle-ci dure moins de 40 secondes et peut donc s’intégrer facilement dans la routine de travail. Pour documenter l’évaluation, l’étudiant-e sélectionne dans l’application preparedEPA l’activité qu’il ou elle vient de réaliser. Un code QR est alors généré sur son appareil mobile, que le-la formateur-trice scanne avec son smartphone. Les deux appareils sont désormais connectés pour cette situation d’évaluation spécifique.

Les deux personnes évaluent ensuite, de manière indépendante, l’activité réalisée, en déterminant: le niveau de complexité de la tâche, et le degré de supervision que l’étudiant-e nécessiterait si la même activité devait être répétée le lendemain (= évaluation prospective).

Dès que les deux évaluations sont saisies, le résultat s’affiche simultanément sur les deux écrans.

Si le temps manque, la documentation peut s’arrêter à ce stade. Sinon, le temps restant est utilisé pour un entretien de feedback optionnel, dont la durée varie selon les disponibilités. À la fin de cet échange, des objectifs spécifiques peuvent être formulés. Pour cela, nous utilisons au KSA le modèle «Start, Stop, Continue».

Les étudiant-e-s peuvent ensuite approfondir les objectifs fixés en autoformation, puis apporter leurs nouveaux acquis dans la pratique la fois suivante. Le cycle d’apprentissage est ainsi complet, et une nouvelle évaluation peut être réalisée en situation réelle.

Il faut toutefois garder à l’esprit que chaque évaluation individuelle reste subjective. Les évaluations en milieu de travail ne peuvent être totalement objectives, car chaque situation est unique et dépend de nombreux facteurs individuels. Ce n’est qu’en multipliant les évaluations que l’on obtient une image globale fiable. Une métaphore tirée de la photographie numérique illustre bien cela: plus il y a de pixels, plus l’image devient nette.

En interne, toutes les personnes impliquées dans la formation, ainsi que les médecins chef-fe-s et adjoint-e-s, sont enregistré-e-s dans l’application comme superviseur-e-s et peuvent réaliser des évaluations. De plus, tous-tes les expert-e-s diplômé-e-s en soins d’anesthésie EPD ES disposent d’un accès général. Les médecins assistant-e-s et les étudiant-e-s en soins sont enregistré-e-s comme apprenant-e-s.

L’application offre naturellement aux apprenants la possibilité de réaliser pour chaque activité une autoévaluation assortie d’une auto réflexion. Dans le cadre du développement personnel – élément du plan-cadre de formation – ces réflexions sont explicitement exigées chez nous au KSA.

Vue d’ensemble des étudiant-e-s – le Cockpit

Pour nos responsables de formation, il est essentiel d’avoir une vue d’ensemble claire des étudiant-e-s qui leur sont attribué-e-s, et de pouvoir suivre leur progression tout au long de la formation. Cet objectif est atteint grâce à l’outil appelé «Cockpit».

Celui-ci permet de voir, de manière simple et claire: quelles et quels étudiant-e-s ont documenté un nombre suffisant d’évaluations quels objectifs ont été formulés et comment se présente leur autoévaluation.

De plus, un code couleur indique le niveau actuel de besoin en accompagnement de chaque étudiant-e, ce qui permet aux formateur-trice-s d’intervenir rapidement si nécessaire. Ainsi, la connectivité est garantie en permanence grâce à la documentation numérique.

Cette vue d’ensemble étendue est particulièrement appréciée des formateur-trice-s car elle permet d’apporter un soutien individualisé et ciblé à chaque étudiant-e.

Extrait semestriel (preuve de compétence)

La tenue des extraits semestriels était jusqu’à présent une tâche chronophage tant pour les étudiant-e-s que pour les formateur-trice-s. Les deux applications prepared (preparedEPA et prepared360) associées à la fonction Cockpit, offrent ici un avantage considérable: les données issues des évaluations en milieu de travail, les cours et les ateliers suivis, les formations continues, ainsi que des feedbacks multisources à 360°, sont automatiquement intégrés dans un extrait semestriel numérique. Dans le Cockpit décrit ci-dessus, toutes ces informations se regroupent et sont présentées sous forme claire, intégrées aux différents processus de travail. L’extrait semestriel peut ensuite être exporté au format PDF ou enregistré comme document Word modifiable. Ainsi, la collecte manuelle de feuilles de suivi, leur lecture et leur interprétation deviennent inutiles, ce qui permet aux formateur-trice-s d’utiliser leur temps pour des tâches plus pertinentes.

Comme les étudiant-e-s reçoivent à chaque semestre une liste de matériel qu’ils et elles doivent présenter et remettre aux formateur-trice-s, nous avons décidé d’intégrer également cette liste de restitution dans l’application. Dès qu’un appareil est rendu, cela peut être confirmé via QR code par la personne formatrice; la restitution est alors automatiquement documentée dans l’application et le Cockpit. Les étudiant-e-s et les formateur-trice-s disposent ainsi d’un aperçu actualisé des appareils encore en attente.

Influence sur la formation

Les étudiant-e-s apprécient particulièrement la transparence et la visibilité que leur offre ce système. Les professionnel-le-s diplômé-e-s et les formateur-trice-s peuvent, d’un seul coup d’œil, identifier les activités pour lesquelles les étudiant-e-s sont déjà compétent-e-s et peuvent être mobilisé-e-s de manière adéquate. Cette reconnaissance concrète renforce la motivation et la satisfaction au travail, améliorant ainsi les conditions globales de réussite de la formation. Les zones d’ombre dans les compétences deviennent plus faciles à identifier et peuvent ensuite être comblées. L’individualisation de la formation devient réellement possible dans la pratique et se traduit par une efficacité nettement accrue.

La formation ne suit plus le principe rigide: «Au troisième semestre, on enseigne ceci ou cela.» Désormais, l’accent est mis sur les besoins individuels. On peut dire, par exemple: «J’ai remarqué que tu pourrais encore t’exercer sur cette compétence; travaillons-la aujourd’hui.» ou «Tu n’as pas encore pu réaliser cette activité; abordons-la ensemble.» Cela représente un gain de temps considérable pour les formateur-trice-s, qui peuvent se concentrer sur les compétences réellement nécessaires.

Défis

Avant le lancement du projet, certaines voix sceptiques doutaient de l’efficacité du système. Ces doutes se sont rapidement dissipés après la mise en œuvre.

Le concept d’une formation numérique axée sur les compétences ne consiste pas à «mettre du vieux vin dans de nouvelles bouteilles», mais introduit plusieurs innovations fondamentales dans notre pratique quotidienne.

Au début, il a fallu clarifier la disponibilité des smartphones au bloc opératoire et définir avec les étudiant-e-s des règles précises concernant leur utilisation. Aujourd’hui, l’usage du smartphone pour utiliser l’application est parfaitement intégré dans la routine de formation.

Passer d’une logique basée sur la durée de la formation ou la fréquence d’exécution à une logique fondée sur la compétence a représenté un changement profond de paradigme pour de nombreux participant-e-s au projet. Un nouveau mode de pensée pédagogique était nécessaire. C’est pourquoi nous recommandons, en plus d’une introduction progressive de l’application, d’informer et de former toutes les personnes concernées à l’avance sur cette approche centrée sur la compétence.

Le passage du papier au numérique a également demandé une phase d’adaptation. Mais les avantages de la documentation numérique sont si nombreux qu’une liste exhaustive dépasserait le cadre de cet article.

Dans le cadre d’un mémoire de master consacré à ce thème, des études ont été menées pour mieux comprendre les craintes et les réticences du personnel. Les résultats ont montré que les étudiant-e-s comme les formateur-trice-s apprécient la possibilité, grâce à l’architecture mobile, de documenter leurs rapports d’apprentissage aussi bien à l’interne qu’à l’externe — un avantage que nous confirmons pleinement.

Grâce aux deux applications prepared, au registre numérique de compétences de l’école prifessionnelle argovienne pour les soins d’anesthésie, soins intensif et urgence (afsain) et à Microsoft 365 au KSA, nous sommes désormais en mesure de travailler entièrement de manière numérique.

Avenir

À ce jour, plusieurs centres ont déjà adopté un système de documentation numérique similaire.

Outre l’hôpital cantonal d’Aarau, citons par exemple l’hôpital de Schwyz, les services de sauvetage de l’hôpital cantonal de Lucerne, l’hôpital de Thurgovie, et l’hôpital de Bülach. D’autres suivront prochainement.

Afin d’améliorer l’interopérabilité, l’objectif à long terme est d’établir une documentation uniforme et interrégionale entre les institutions de formation. Il s’agit notamment de promouvoir les initiatives développant des curriculums communs, capables de répondre aux exigences de l’apprentissage axé sur les compétences et de l’innovation numérique dans la pratique.

Résumé

En résumé, l’introduction de ces applications a permis de rendre la formation pratique nettement plus efficiente. Les formateur-trice-s gagnent du temps qu’ils et elles peuvent investir dans un accompagnement individualisé et centré sur les besoins réels. En parallèle, les étudiant-e-s ressentent un gain de motivation, car leur progression repose désormais sur leurs compétences réelles plutôt que sur un schéma standardisé.

Avec l’application prepared, nous avons franchi une étape majeure vers la numérisation et vers une formation post-diplôme véritablement axée sur les compétences.

Contact

Michael John
Expert diplômé en soins d’anesthésie EPD ES
Responsable de la formation post-diplôme en soins d’anesthésie, hôpital cantonal d’Aarau
michael.john@ksa.ch

Dr méd. Lukas J. Kandler, MHBA
lukas.kandler@prepared.app

Dr méd. Adrian P. Marty, MME
adi.marty@prepared.app

Pour toute question relative à la mise en œuvre pratique, contacter Michael John; pour des questions sur l’application, s’adresser aux Drs Kandler et Marty.

Références

1. Hauer KE, ten Cate O, Boscardin C, Irby DM, Iobst W, O’Sullivan P. Understanding trust as an essential element of trainee. Adv Health Sci Educ Theory Pract. 2014;19(3):435–56.
2. ten Cate O. Nuts and bolts of entrustable professional activities. J Grad Med Educ. 2013;5(1):157–158.
3. ten Cate O, Chen H, Reinier H, Harold B. Curriculum development for the workplace using Entrustable Professional Activities (EPAs): AMEE Guide No. 99. Med Teach. 2015;37(11):983–1002.
4. Marty A, Kandler L, Francois T, Schraner A, Bedoni L. prepared. Von https://www.prepared.app/ abgerufen am 11.06.2025.